La sentenza del Tribunale di Grande Istanza di Lille (Francia) sulla richiesta di annullamento di matrimonio – di cui il Paese delle Donne ha già dato notizia – continua a produrre commenti e riflessioni. Dal sito del quotidiano ‘Le Monde’ del 10 giugno pubblichiamo il contributo di Gisèle Halimi, avvocata e presidente dell’associazione francese ‘Choisir la cause des femmes’. Testo in lingua francese. “Les faits, d’abord, l’émotion et le questionnement ensuite, l’explication et le commentaire enfin. Un mariage célébré le 8 juillet 2006. Deux jeunes Français dont on précise – pourquoi ? – qu’ils sont musulmans. Le couple s’éclipse lors des festivités. Le mari – 23 ans ! – revient, “blême”, précisent les feuilletonistes de nos quotidiens. {{La femme n’est pas vierge. Elle lui a menti. Le scandale mis en scène culmine. L’orgueil (blessé) du mâle aussi.}}

Il demande réparation à la justice sur la base de l’article 180 du code civil. Cette disposition – assez rarement évoquée – permet de prononcer la nullité d’un mariage “s’il y a eu erreur… sur des qualités essentielles de la personne…” A signaler que ces procédures sont particulièrement rares. Une des “qualités essentielles” requises par l’époux – la virginité – faisant défaut, le tribunal de grande instance de Lille annule le mariage. D’autant que l’épouse aurait acquiescé à la demande. Personne, d’ailleurs, ne se soucie d’en savoir davantage : pression familiale ? sociale ? culpabilisation excessive et intériorisée ? Envie d’en finir et d’effacer de ses souvenirs cet épisode navrant de sa jeune vie ?

Il n’importe. Car – première observation – toutes les questions d’état des personnes – donc le mariage – relèvent de l’ordre public. Ce qui signifie que l’adhésion de l’épouse devrait être sans conséquence sur le jugement.

En revanche, l’avis du procureur, requis pour cette raison, est essentiel. Dommage qu’il accorde en général si peu d’importance à son intervention, souvent déterminante, en matière civile ! Et se contente d’un rituel et paresseux – “Je m’en rapporte…” La loi – donc d’ordre public – ne dresse pas dans son article 180 la liste des “qualités” qui peuvent être considérées comme “essentielles” par les époux. Donc, c’est au coup par coup. On appelle cela la jurisprudence. Qui, en tenant compte pour une part de la subjectivité des époux, décerne le label d’essentialité. Pour une part seulement et jusqu’à certaines limites. Telle femme se souciera d’une entorse à la virginité… d’un casier judiciaire, tel homme n’acceptera en aucun cas une prostitution, même épisodique et désespérée.

Mais la liberté des juges dans cette appréciation connaît un point limite. Celui vers lequel convergent les principes de notre droit. Un droit français républicain, laïc, conforme aux règles d’égalité (entre les individus et entre les sexes) et de respect de la vie privée des individus. Privée, et dans ce cas, intime. Une demande en nullité de mariage formée en contravention de ces principes doit être vouée à l’échec.

Et {{la justice ne peut, au nom de je ne sais quel respect des traditions, cultures ou religions, laisser pervertir le mariage civil}}. Qui pourrait en effet souscrire à la thèse du mensonge sur… la virginité et non sur le défaut même de cette “qualité” ? “En mariage trompe qui peut”, dit doctement un de nos vieux adages de droit.

En vérité, ce jugement fait bien de la virginité la cause de la nullité. A l’évidence, il porte atteinte à ce qui fonde notre justice. Et gomme, du même coup, la liberté d’une femme, égale à celle d’un homme, de disposer d’elle-même ! {{Le tribunal de Lille aurait donc, à tort et sans le mentionner formellement, pris en considération la religion du mari français. Il est musulman}}. Les attendus du jugement ne laissent aucun doute, ils insistent sur la “perception” que le mari avait eue de la virginité de l’épouse. Gageons que si un jeune Durand ou Dupont avait sollicité l’annulation de son mariage pour les mêmes motifs le tribunal, après avoir ri, ou cru à un gag, aurait rejeté rapidement la demande. Et condamné aux dépens. Mais le justiciable de Lille, encore une fois, est musulman. Et du coup l’indignation générale provoquée par l’annulation du mariage se mâtine de relents islamophobes.

Les musulmans peuvent-ils être des Français comme nous ? La question est dans tous les non-dits. {{Personne ne songe aux mariages – chasteté exigée – des juifs orthodoxes, à papillotes et à perruque ? Ni à ceux des catholiques intégristes disciples de Monseigneur Lefebvre}}, priant régulièrement à Saint-Nicolas-du-Chardonnet ?

{{La justice française, en faisant accéder la virginité d’une femme à la dignité de “qualité essentielle” a d’abord cédé à la facilité}}. Deux époux d’accord pour en finir, un procureur routinier. Dossier réglé, nullité prononcée. Nous voilà du même coup rejetés des siècles en arrière, confrontés à une mise en cause des principes de notre justice. Il eût été pour les époux si simple de divorcer par consentement mutuel. Pas d’enfant, pas de pension, pas de prestation compensatoire. La demande en nullité, présentée le 26 juillet 2006, a fait l’objet d’un jugement le 1er avril 2008.

{{Parions qu’une procédure discrète et consensuelle de divorce eût été plus rapide}} ! Et aurait relégué la sacralisation de la virginité de la femme au rang de fantasme d’un homme, d’un mâle du temps des prédateurs sexuels. Que ce fantasme soit d’origine religieuse ou non ne doit en aucun cas intéresser nos juges. Au lieu du divorce, on nous sert un grand déballage. Débats tous azimuts, médias alléchés, gouvernement incohérent. Qui a bien fait, dans sa volte- face, d’ordonner enfin un appel.

Mais cette effervescence a permis, en subliminal, de mettre une fois de plus en accusation les musulmans. Egalité des sexes, dignité des femmes, tels sont les impératifs de notre droit qui excluent, dans tous les cas, la prise en compte de réflexes communautaristes. {{Le jugement de Lille a méconnu la donnée de base. Il ne pouvait concerner que deux justiciables français, soumis à la laïcité républicaine de notre droit}}. Rien de moins. Mais, aussi, rien de plus”.

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{{Gisèle Halimi}} est avocate, présidente de Choisir la cause des femmes.

Article paru dans l’édition du 10.06.08